C’est un passage qui a été peu relevé dans la tribune d’Emmanuel Macron à destination des Européens, qui me paraît pourtant très important. Le Président de la République y énonce la possibilité que l’Union européenne, non seulement « sanctionne », mais carrément « interdise » des services qui violeraient allègrement le RGPD :
Nos frontières doivent aussi assurer une juste concurrence. Quelle puissance au monde accepte de poursuivre ses échanges avec ceux qui ne respectent aucune de ses règles ? Nous ne pouvons pas subir sans rien dire. Nous devons réformer notre politique de concurrence, refonder notre politique commerciale : sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales, la protection des données et le juste paiement de l’impôt ; et assumer, dans les industries stratégiques et nos marchés publics, une préférence européenne comme le font nos concurrents américains ou chinois.
Une telle position est, je crois, un discours nouveau dans une Europe qui n’a jamais osé brandir aussi explicitement cette menace, sans doute d’abord parce que sa culture libérale (au bon sens du terme) l’empêche de la formuler, et ensuite par crainte légitime d’être assimilée à la Chine et au côté obscur des régimes autoritaires.
Il y a 10 ans, il n’y avait guère que l’industrie culturelle confrontée aux sites de piratage pour réclamer aux autorités publiques de prendre des mesures de blocage, inconcevables pour tout le monde – et à commencer par moi. Comme tant d’autres, j’étais entre rire et consternation lorsqu’un artiste de la chanson française, agacé par ce qu’il estimait être une inaction coupable de l’Etat, lançait à Nicolas Sarkozy : « avec internet, on peut faire n’importe quoi. On peut empêcher ces sites d’être utilisables en France. Ils le font bien en Chine« .
L’idée que l’on puisse aller jusqu’à couper des services en ligne en France ou en Europe est restée longtemps inenvisageable, et aujourd’hui encore elle n’est envisagée que pour les infractions les plus graves et les plus graphiques, telles que la publication de contenus pédopornographiques ou d’apologie du terrorisme.
Sans doute c’est heureux, et je ne crois pas avoir changé d’avis. Couper l’accès à un service est une décision gravissime pour les libertés, qui doit n’être prise qu’en ultime recours, lorsque c’est absolument nécessaire, avec une main tremblante et autant de garde-fous qu’il est possible d’imaginer.
Néanmoins, force est de constater que l’Europe n’a pas su, en l’absence de cette menace forte de blocage, faire respecter ses lois et ses valeurs par les entreprises qui se sont accaparées le marché européen dans des proportions folles, profitant du laisser-faire.
Il est incroyable qu’il ait fallu attendre le 25 mai 2018 et l’entrée en application du RGPD pour que les autorités de protection des données disposent enfin des possibilités juridiques de prononcer des sanctions fortes contre les GAFA et autres entreprises qui ont toujours piétiné les règles votées en Europe au nom des Européens. Et il est à craindre que les GAFA continuent à les violer encore longtemps, tant il pourrait être moins coûteux pour eux de provisionner les milliards d’euros d’amendes potentielles à verser que de remettre véritablement et profondément en question leurs façons de faire.
Si vous ne l’avez pas encore fait, il faut lire en détails la décision de la CNIL contre Google du 21 janvier dernier. Elle est à cet égard lumineuse. L’autorité administrative prononce une sanction pécuniaire record, de 50 millions d’euros (indolore pour Google), et surtout énumère beaucoup de points fondamentaux que Google devra changer dans ses façons de faire s’il veut échapper à une nouvelle sanction plus lourde, en France ou ailleurs en Europe. Or le géant de Mountain View a bien sûr fait appel pour ne pas avoir à changer, et est passé maître dans l’art de la dilution du calendrier pour que les sanctions n’interviennent qu’une fois absorbées par l’augmentation de son chiffre d’affaires. Il n’est pas sûr que même le plafond de 4% du chiffre d’affaires mondial risqué en cas de violation grave du RGPD lui fasse prendre un virage à 180°, pas plus à lui qu’à Facebook ou d’autres.
Retrouver la souveraineté
Dès lors, il est vrai que l’Europe doit s’interroger sur son mode d’action et sa façon de faire respecter ses lois et ses valeurs, chez elle, par ceux qui exploitent son marché et ses citoyens. Elle doit trouver les moyens de muscler sa dissuasion.
Le fait qu’une menace d’interdiction existe et soit formulée n’est pas aberrant en soi. Après tout, un restaurant qui ne respecte pas les règles d’hygiène et qui met donc en danger la sécurité de ses clients peut être fermé sans que ça n’émeuve personne. Pourquoi faudrait-il qu’il en aille différemment d’un service qui met en danger la sécurité des données personnelles et les libertés individuelles ?
Mais le problème est qu’on a rendu notre économie et nos vies quotidiennes tellement dépendantes des GAFA que fermer leurs services ferait des Européens les premières victimes d’une telle décision. Il est devenu inenvisageable et probablement pas souhaitable que Google ou Facebook soient bloqués ou même suspendus temporairement en Europe, tant les conséquences en chaîne seraient nombreuses et inestimables.
C’est pour cela que si tant est qu’on la juge légitime, la menace d’une coupure n’est guère crédible (et pour être honnête, je pense qu’Emmanuel Macron le sait très bien et qu’il pense davantage aux équipementiers télécoms chinois qu’aux GAFA lorsqu’il parle d’interdiction). Le piège s’est refermé sur une Europe trop longtemps endormie et passive. Mais il n’est pas trop tard.
Il est fondamental, pour reprendre la main, de parler avec enthousiasme de souveraineté européenne et de la défendre avec vigueur, en soutenant à fond toutes les alternatives européennes qui respectent nos règles. La souveraineté n’est que notre capacité à exercer notre volonté, et nous la perdons. Il faut pour la récupérer détricoter avec méthode nos dépendances technologiques et économiques lorsqu’elles deviennent disproportionnées. Je suis donc heureux de lire Emmanuel Macron lorsqu’il dit vouloir « assumer, dans les industries stratégiques et nos marchés publics, une préférence européenne comme le font nos concurrents américains ou chinois« . C’est absolument fondamental.
Et pourquoi un preference pour les entreprises « françaises » pour faire encore plus protectioniste?
Trump met en evidence le paradoxe du libre echange qui est promu quand il permet de capturer un nouveau marché mais désavoué quand c’est son marché interne qui est capturé par d’autres.
J’ai cru comprendre que l’idée de base du libre echange permettait au contraire chacune des partie de ses specialiser et donc de faire un echange gagnant-gagnant.
Si l’europe doit reconstruire une autonomie, ca aura un coût non negligeable il faut en etre conscient.
Une autre solution est de retrouver un etat qui fait appliquer la loi dans son pays. Donc force les produits etranger à se plier aux meme regles que les autres pour vendre dans son marché. Ce serait uen solution plus générale a mon avis.
Si un service similaire aux gafam (meme business model) basé aux pays bas ou en irlande existait. Je ne pense pas que ca changerait la donne pour le citoyen.
Desolé pour les fautes et mots qui manquent, j’ai écrit d’un smartphone et je ne me suis pas relu…